L’effectuation, logique de pensée des entrepreneurs experts

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L’effectuation, logique de pensée des entrepreneurs experts

Description Courte l'effectuation trouve son origine dans les travaux de recherche menés à la fin des années 90 par Saras Sarasvathy, une jeune doctorante d’origine indienne, ancienne entrepreneuse, conduits sous la direction d’Herbert Simon, prix Nobel d’économie, à l’université Carnegie Mellon.

En bref

Les entrepreneurs ne se comportent pas comme il est dit dans les manuels de sciences de gestion. À la fin des années 90, Saras Sarasvathy a bouleversé la façon dont la communauté académique considérait jusqu’alors la démarche entrepreneuriale
Les créateurs d’entreprise agissent selon une démarche « effectuale », autrement dit ils partent des ressources, de ce qu’il ont sous la main, pour passer à l’acte. Leur mode de fonctionnement n’est pas « causal ».
L’opportunité d’affaires n’est pas pré-existante, démontre Sarasvathy. L’action de l’entrepreneur peut faire évoluer son environnement et créer le marché dont il a besoin.

Plus spécifiquement, Sarasvathy montre que l’action des entrepreneurs s’appuie sur cinq principes :


1. « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ».

La stratégie classique consiste à définir des buts pour ensuite trouver les ressources nécessaires à leur accomplissement. Cette approche est dite « causale », car on cherche les causes (moyens) permettant d’obtenir un effet attendu et défini préalablement. Les entrepreneurs partent au contraire des moyens à leur disposition pour définir de nouveaux buts. À moyens donnés, ils jouent sur les effets possibles, d’où le terme « effectual ». Même si, par définition, les entrepreneurs ont souvent peu de moyens, ils en ont toujours et souvent ceux-ci sont insoupçonnés. Hors une grosse levée de fonds, ces moyens sont de trois types : la personnalité de l’entrepreneur (qui va l’orienter dans telle direction plutôt que telle autre, ou le rendre sensible à tel problème), sa connaissance (expertise), et ses relations (qui vont constituer son vecteur). Ainsi, en considérant ses moyens, l’entrepreneur se demande qui il est, ce qu’il connaît et qui il connaît, et ce qu’il peut faire avec tout ça. Même quelqu’un de jeune ou démuni possède de nombreuses ressources de ces trois types.

2. « Perte acceptable ».

Alors que la stratégie classique à prendre des décisions sur la base d’un retour attendu que l’on doit estimer, les entrepreneurs raisonnent en termes de perte acceptable. Ils essaient quelque chose en sachant ce qu’ils peuvent perdre au pire, et ils savent qu’ils peuvent se permettre cette perte. C’est par exemple le cas d’un cadre au chômage qui se dit “Je vais travailler sur cette idée, et si ça n’a pas pris dans six mois, je me remets à chercher du travail.” La perte (salaire et dépenses diverses) est connue à l’avance, le risque parfaitement maîtrisé. En revanche, le cadre ne sait pas vraiment ce qu’il peut attendre de ces six mois. En tout cas, son attente ne définit pas son engagement dans le projet. Cette approche s’explique par le fait qu’en situation d’incertitude, il est toujours plus rationnel d’avancer sur une estimation des coûts possibles que sur des gains possibles, beaucoup difficile.

3. « Patchwork fou ».

Alors que l’analyse de la concurrence est l’un des piliers de la démarche stratégique, dans la mesure où elle permet de s’insérer dans la structure de l’industrie au sein de laquelle on se lance, les entrepreneurs s’intéressent plus à la création de partenariats avec différents types d’acteurs (parties prenantes) afin de « co-construire » l’avenir ensemble. Ainsi, au client qui accueille l’entrepreneur venu lui présenter son nouveau produit en lui disant “Votre produit m’intéresse, mais il faudrait apporter telle et telle modification”, il y a plusieurs réponses possibles. L’entrepreneur peut trouver un autre client, ou il peut adapter son produit et revenir voir le client dans quelques mois. Mais il peut aussi tenter une logique de co-création en répondant : “OK pour apporter ces modifications, mais à condition que vous vous engagiez maintenant à m’en prendre trois.” Si le client accepte, il rejoint le projet et en devient un acteur, ayant dès lors intérêt à sa réussite. L’Effectuation rejoint ainsi les travaux des chercheurs français Akrich, Callon et Latour, qui ont promu une vision sociotechnique de l’innovation dans laquelle la notion de diffusion d’une innovation est remplacée par celle de la construction d’un réseau de parties prenantes intéressées à sa réussite.

La démarche entrepreneuriale consiste donc non pas à résoudre un puzzle conçu par d’autres, mais à assembler un patchwork avec des parties prenantes qui se sélectionnent elles-mêmes. Le patchwork est « fou » au sens où l’entrepreneur ne sait pas du tout à l’avance qui rejoindra le projet et ce que chacun apportera à celui-ci, et donc quelle forme il prendra au final. Ce principe de patchwork fou illustre la nature profondément sociale de la démarche entrepreneuriale, rarement mis en avant dans la littérature ou dans l’enseignement qui se focalisent plutôt sur les aspects cognitifs.


4. « Limonade ».

Alors que la planification stratégique a pour but d’éviter les surprises, les entrepreneurs accueillent celles-ci favorablement et en tirent parti. Autrement dit, si on vous donne des citrons, vendez de la limonade. Vous démarrez sur une idée, et partez sur une autre à la suite d’une observation fortuite, d’une suggestion d’un client ou d’un accident. Ainsi la démarche entrepreneuriale ne consistera pas à consacrer son énergie à se prémunir contre de « mauvaises » surprises, mais plutôt de transformer les « mauvaises » surprises en « bonnes opportunités ». Par exemple, les fondateurs de Stacy’s, une célèbre marque de chips américaine, ont commencé en vendant des sandwiches à Boston. Ayant du mal à faire face au pic de clients le midi, ils décident de fabriquer des chips le matin et de les offrir à leurs clients pour les faire patienter. Au bout d’un moment il est apparu clairement que, si les clients aimaient leurs sandwiches, ils adoraient leurs chips. Ils ont donc fermé leur magasin de sandwiches.

5. « Pilote dans l’avion ».

Ces principes conduisent à passer d’une logique de prédiction (essayer de deviner le marché) à une logique de contrôle (l’inventer). La stratégie classique repose sur l’axiome suivant : “Dans la mesure où nous pouvons prévoir l’avenir, nous pouvons le contrôler.” L’effectuation inverse cette logique en postulant que “dans la mesure où nous pouvons contrôler l’avenir, nous n’avons plus besoin de le prévoir.” Derrière cette logique de contrôle se dessine une vision créatrice de l’entrepreneuriat, selon laquelle le rôle de l’entrepreneur est de créer de nouveaux univers, et non de découvrir les univers pré-existants.

Ressources

effectuation un livre de philippe silberzahn
Mots clés entreprendre